Bruxelles, le 29 mai 2008
La France doit tenir ses engagements
pour la solidarité internationale.
Monsieur le Président,
Nous souhaitons attirer votre plus haute attention sur le relâchement de l’effort de solidarité internationale de la France et de l’Union européenne.
Cet effort a été solennellement consacré par les engagements politiques pris en 2002 et 2005 à l’échelle nationale et européenne, portant à la fois sur la quantité et la qualité de l’aide publique au développement. Ce faisant, notre pays et l’UE ont réaffirmé collectivement leur volonté politique d’apporter une contribution décisive à la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) en 2015.
Force est de constater que la réponse de la France et de l’Europe ne sont pas à la hauteur de ces enjeux. Au contraire, notre pays et l’Union européenne tournent le dos à leurs engagements : la publication des chiffres de l’aide publique au développement (APD) pour l’année 2007 par le Comité d’aide au développement de l’OCDE met une évidence une forte baisse de l’aide aux pays pauvres en 2007 au sein de l’UE. La France, qui va assurer la présidence de l’UE à partir du 1er juillet, se distingue par ses mauvais résultats en la matière. Au moment où il doit plus que jamais montrer l’exemple à ses partenaires européens, notre pays « tire » la performance européenne vers le bas dans son effort d’aide au développement.
1- L’aide publique française a connu une forte chute en 2007, passant de 0,47% à 0,39% du RNB. Avec 7,2 milliards d’euros alloués en 2007, elle a en effet diminué de 16% en termes réels, alors que, la même année, l’Espagne a accru son aide de près de 34%.
Dans un contexte budgétaire contraint, l’APD ne doit pas servir de variable d’ajustement.
2 – Au lendemain de votre élection, vous avez fait le choix de renoncer à l’engagement de votre prédécesseur d’atteindre dès 2012 l’objectif des 0,7% du RNB de la France à l’APD. Nous le déplorons. Concrètement, ce sont 12 milliards d’euros que les plus pauvres de la planète ne recevront pas de notre pays. 12 milliards qui auraient permis de soigner des millions d’enfants quand, 11 millions d’entre eux meurent chaque année faute d’accès aux soins, ou d’ouvrir la porte de l’école primaire à certains des 114 millions d’enfants qui en sont privés…
3 – L’Afrique pourrait être la première victime de ce renoncement.
Vos déclarations prononcées devant le Parlement Sud-Africain le 28 février dernier n’ont pas permis de lever tous les doutes à ce sujet, bien au contraire. En prenant l’engagement d’octroyer 10 milliards d’euros sur les cinq prochaines années à l’Afrique sub-saharienne, vous avez de fait consacré une diminution des engagements français d’APD envers cette région, à laquelle la France a consacré près de 15 milliards d’euros entre 2002 et 2006 (chiffres OCDE).
4 – Au-delà de l’enjeu quantitatif, c’est aussi le contenu de l’APD de notre pays qui pose problème. Plusieurs postes comptabilisés dans notre APD ne contribuent pas au développement. Ainsi, si l’on exclue les montants consacrés à l’accueil des réfugiés sur notre sol, la prise en charge des étudiants étrangers ou les dépenses de solidarité nationale en faveur des TOM, le chiffre de l’aide au développement « réelle » de la France s’est élevé à 0,23% du PNB en 2007.
5 – Dans le cadre du remaniement ministériel du 18 mars 2008, le « co-développement » a été rebaptisé « développement solidaire » dans l’intitulé du ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Co-développement. Ce glissement sémantique est révélateur du rôle croissant que cherche à jouer ce ministère dans la politique de coopération au développement de la France. Il illustre la confusion grandissante entre la coopération pour le développement des pays du Sud et la maîtrise des flux migratoires.
Nous ne partageons pas cette vision. Les actions de développement ne sauraient être ni un moyen de pression sur les migrants établis dans notre pays, ni une monnaie d’échange dans la négociation d’accords bilatéraux.
L’APD demeure un levier essentiel pour le financement du développement, pour lequel la France a pris des engagements forts. Les populations vivant dans la pauvreté attendent beaucoup de l’UE en tant que premier bailleur de fonds à l’échelle mondiale.
La France assurera au second semestre 2008 la présidence de l’UE. A la veille de cette échéance majeure pour notre pays et pour l’Europe, nous appelons le Président de la République et le gouvernement français à respecter les engagements pris, afin de conduire l’Europe à agir pour un réel rééquilibrage des rapports nord-sud.
Nous demandons donc au Président de la République et au gouvernement français de :
► Répondre à l’appel de la Commission européenne de mettre en place un calendrier d’augmentation de l’APD jusqu’en 2015.
La Commission européenne a appelé les Etats membres de l’Union européenne à présenter un plan pluriannuel indiquant les hausses précises prévues année après année. Pour être crédible à la présidence de l’UE, la France doit montrer l’exemple. Elle doit se donner les moyens de respecter ses engagements, en programmant une hausse conséquente dès 2009, dans le cadre de la loi de programmation pluriannuelle, qui doit être débattue au Parlement en juillet 2008. Seul un engagement fort, avec l’adoption d’un calendrier contraignant fixant un objectif annuel d’APD de 2009 jusqu’en 2015 peut garantir qu’elle demeurera une priorité politique – et donc budgétaire – de l’Etat.
► Clarifier les objectifs de la politique de coopération au développement française.
La France doit adopter un document stratégique définissant les orientations de sa politique de coopération au développement. A ce jour, notre pays ne dispose en effet d’aucune stratégie globale. Un tel document devra redonner sa place fondamentale à la lutte contre la pauvreté et les inégalités, conformément au Consensus européen pour le développement adopté en 2005 par l’Union européenne. Le gouvernement devra garantir que ces orientations soient respectées et ne soient pas brouillés par d’autres objectifs.
► C’est le moment d’agir.
L’APD sera au cœur de l’actualité de la Présidence française. Du 2 au 4 septembre 2008, le troisième forum à haut niveau d’Accra sera l’occasion de tirer un premier bilan de la mise en œuvre de la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide. Le 25 septembre, à l’occasion du Sommet des Nations-Unies, la Communauté internationale devra dresser un bilan à mi-parcours des OMD. Deux mois plus tard, la communauté internationale se retrouvera à Doha pour la Conférence de suivi sur le financement du développement, six ans après la Conférence internationale de Monterrey.
La France et l’Europe doivent retrouver leur place à la pointe du combat pour le développement, avec une politique de coopération juste et ambitieuse. Nous plaidons pour que cet objectif figure au plus haut niveau des priorités politiques de la Présidence française.
► Un engagement d’autant plus indispensable au moment où le monde vit une crise alimentaire considérable et dramatique.
Cette crise impose à la France et à la future Présidence de l’Union européenne d’intervenir auprès des systèmes bancaires français, européens et mondiaux, afin que cesse cette spéculation financière éhontée venant des subprimes vers les matières premières alimentaires.
La France devra également peser auprès de ses partenaires dans tous les domaines structurels et conjoncturels permettant de mettre fin à ce drame : soutien aux cultures vivrières des Pays en voie de développement, mise en place d’une politique internationale nouvelle face au réchauffement climatique. D’autre part, il est indispensable d’avoir une réflexion urgente sur la nécessité des agro-carburants.
Nous vous appelons à un engagement volontariste en faveur des populations les plus vulnérables de la planète.
En suivant cette voie, vous savez que vous pouvez compter sur le soutien des Français, très attachés aux valeurs de générosité et de solidarité internationale de notre pays.
Ne doutant pas que vous serez sensible à leurs aspirations, et vous remerciant par avance de l’attention que vous accorderez à notre démarche, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de notre haute considération.
Signataires
Bernard POIGNANT
Président de la Délégation socialiste française au Parlement européen
Kader ARIF, Pervenche BERES, Guy BONO, Catherine BOURSIER, Bernadette BOURZAI, Marie-Arlette CARLOTTI, Françoise CASTEX, Jean-Louis COTTIGNY, Harlem DESIR, Brigitte DOUAY, Anne FERREIRA, Catherine GUY-QUINT, Benoit HAMON, André LAIGNEL, Stéphane LE FOLL, Roselyne LEFRANCOIS, Marie-Noëlle LIENEMANN, Robert NAVARRO, Catherine NERIS, Béatrice PATRIE, Vincent PEILLON, Pierre PRIBETICH, Michel ROCARD, Martine ROURE, Gilles SAVARY, Pierre SCHAPIRA, Catherine TRAUTMANN, Yannick VAUGRENARD, Bernadette VERGNAUD, Henri WEBER