Virginie Rozière, rapporteure. – Monsieur le Président, quand on présente un travail comme celui-là, il est d’usage de remercier les collègues pour le travail accompli. Je le ferais bien volontiers, mais je voulais commencer par remercier d’autres personnes. Dire merci à Antoine Deltour, merci à Raphaël Halet, merci à Irène Frachon, merci à Denis Robert, merci à tous ceux qui, un jour, font ce choix courageux qui est celui de parler. Cela n’est jamais un choix facile parce que, pour les lanceurs d’alerte, c’est faire le choix de la vérité, faire le choix de l’éthique, faire le choix de l’intérêt général, et c’est très souvent un choix qui se fait à ses propres risques et périls.
Je voulais aussi souligner que c’est la première fois que ce Parlement adopte un texte sur la protection des lanceurs d’alerte. C’est assez surprenant, parce que d’autres institutions ont déjà adopté des résolutions sur ce sujet; je pense, en particulier, au Conseil de l’Europe, qui a adopté une résolution en 2014, qui fixe des objectifs ambitieux et élevés, objectifs sur lesquels d’ailleurs nous nous sommes basés dans nos travaux.
J’ai parlé d’Antoine Deltour et de Raphaël Halet, et je voulais aussi souligner que, par contre, ce Parlement a souvent appelé à la protection des lanceurs d’alerte et que cela a souvent été dans le cadre des résolutions qui ont suivi l’affaire LuxLeaks. Je pense aux rapports des commissions spéciales TAXE 1 et TAXE 2.
Alors, oui, nous avons remercié Antoine Deltour et Raphaël Halet, nous avons même remercié Antoine Deltour avec le prix du citoyen européen. Nous avons pris des mesures pour lutter contre l’évasion fiscale grâce à lui – grâce à eux –, mais aujourd’hui, Antoine Deltour et Raphaël Halet ont été condamnés à de la prison avec sursis. Alors, nous, nous avançons, nous travaillons et nous améliorons le quotidien des citoyens européens dans la lutte contre l’évasion fiscale, mais eux sont toujours condamnés.
C’est particulièrement important aujourd’hui que ce Parlement appelle à adopter un instrument pour protéger les lanceurs d’alerte en Europe. Dans ce texte, nous posons un cadre qui peut servir de base à une protection efficace. En particulier, nous proposons une définition large des lanceurs d’alerte, en considérant que nous ne devons pas nous attacher à une situation particulière – salariés, sous-traitants, consultants –, mais plutôt à la nature de l’information qui est révélée, et donc considérer qu’à partir du moment où un lanceur d’alerte divulgue une information sur des agissements contraires à l’intérêt général européen, à ce moment-là, il doit être protégé.
Justement, quelle protection pour les lanceurs d’alerte? On sait que, très souvent, quand on parle, on est soumis à énormément de pression, voire à des représailles. Il s’agit donc de disposer clairement que ces représailles sont punissables pénalement et de veiller à ce qu’elles soient sanctionnées et à ce que le préjudice causé aux lanceurs d’alerte et à leur entourage soit pleinement réparé.
Nous souhaitons aussi que les lanceurs d’alerte puissent faire l’objet d’un soutien judiciaire financier lorsque c’est nécessaire. Nous voyons que, dans plusieurs cas, ils doivent faire face à des conditions de vie extrêmement dégradées, un travail perdu, une maison vendue, des ressources réduites au minimum. C’est pourquoi nous devons pouvoir également apporter un soutien financier dans certains cas, mais également une aide psychologique, parce que c’est à chaque fois une épreuve de se confronter à des organisations qui, elles, ont énormément de moyens – énormément de moyens d’action et de moyens de pression. Cette nécessité de rééquilibrer le rapport de forces, nous voulons aussi qu’elle soit prise en compte lorsqu’un lanceur d’alerte salarié fait l’objet de mesures à l’intérieur de son entreprise, pour qu’il appartienne bien à l’employeur d’apporter les garanties sur le fait qu’il ne s’agit pas là de représailles.
Nous faisons une proposition importante: nous voulons que soient mises en place des autorités indépendantes pour accueillir, aider et conseiller les lanceurs d’alerte. Nous l’avons dit, ils sont souvent en situation de fragilité et livrés à eux-mêmes face à des organisations puissantes et, donc, ce réseau d’autorités indépendantes, avec une autorité indépendante européenne qui pourrait assurer la coordination et une voie de recours pour les lanceurs d’alerte, nous semble particulièrement important.
Je veux prendre pour exemple un cas dont nous allons également discuter cette semaine, mais qui est d’une autre nature. Je pense à toutes ces personnes qui ont été confrontées aux dommages provoqués par le glyphosate. Je pense à Mme Grataloup, en particulier, qui a essayé d’alerter la compagnie Monsanto des méfaits, qui a essayé d’alerter les autorités nationales et qui n’a pas été entendue. C’est pour cela qu’une autorité indépendante chargée d’accueillir les lanceurs d’alerte serait un pas important.
Mais je voudrais aussi souligner, pour le coup, une tentative assez méprisable de certains collègues de l’autre côté de cet hémicycle, qui, la main sur le cœur, prétendent vouloir protéger les lanceurs d’alerte, mais qui, dans le même temps, voudraient dans ce rapport leur enlever toute possibilité d’avoir recours à la presse.
Or, il est évident que c’est précisément dans les cas les plus problématiques, dans les cas les plus lourds, dans les cas les plus graves – on parle de corruption, on parle de malversations –, qu’il est nécessaire d’alerter la presse; ce sont les cas dans lesquels les lanceurs d’alerte sont les plus exposés. Quel sens cela aurait-il de vouloir supprimer la protection des lanceurs d’alerte justement pour ces cas les plus graves qui nécessitent de s’adresser directement à la presse? Ce n’est ni plus ni moins que nier le droit des citoyens à une information de qualité et supprimer les sources du journalisme d’investigation.
Je trouve particulièrement regrettable que, alors que nous allons rendre hommage au courage de Daphne Caruana Galizia, demain à midi, certains collègues essaient d’empêcher les lanceurs d’alerte de s’adresser directement à la presse. J’espère que tout le monde saura voir clair dans leur jeu et dans les votes de demain midi.