Mesdames et Messieurs,
Nous consacrons traditionnellement le sommet de printemps à la politique économique et sociale. Les décisions qui y sont prises ont des effets directs sur la vie des Européens. Cette rencontre revêt une importance toute particulière dans la situation actuelle, où nous n’avons pas encore surmonté les conséquences sociales de la crise financière. Au contraire. Depuis le dernier sommet de printemps, nous avons perdu 2 millions d’emplois supplémentaires. Le chômage des jeunes a continué d’augmenter et atteint dans certains pays de l’Union des proportions vraiment dramatiques. La pauvreté a continué de s’étendre. Et le financement de l’économie réelle n’est pas encore suffisamment assuré dans de nombreux États membres. Les gens attendent légitimement de l’Union européenne qu’elle prenne en compte leurs soucis et leurs difficultés et que nous apportions des solutions à leurs problèmes, qui touchent souvent à leurs moyens d’existence.
Or l’ordre du jour de ce sommet de printemps comporte, à mes yeux, peu de pistes compréhensibles en réponse aux problèmes réels des gens. J’y relève, par contre, des expressions barbares telles que « coordination ex ante », « dispositions contractuelles individuelles », « MES » pour désigner le « Mécanisme européen de stabilité » et le « SSM » pour le « Mécanisme de surveillance unique ». La politique européenne est tout particulièrement riche en termes abscons, comme les « lignes directrices intégrées Europe 2020 », les « GOPE », ou « grandes orientations de politique économique », les « lignes directrices pour l’emploi », le « PSC », ou « pacte de stabilité et de croissance », la « procédure en cas de déséquilibre macroéconomique », le « semestre européen » et les « programmes nationaux de réforme », de même que les « programmes pour la stabilité et la convergence ». On trouve aussi l' »AGS », à savoir l' »enquête annuelle sur la croissance », ou l' »AMR », à savoir le ‘ »rapport sur le mécanisme d’alerte », le « pacte euro plus », le rapport « 4+1, les deux règlements « 2 Pack » ou les six mesures « 6 Pack ».
Franchement, qui peut encore y comprendre quelque chose? Comment avoir le sentiment, face à un vocabulaire technique qui sonne creux, que l’on se préoccupe des problèmes et des soucis des gens? Si nous ne voulons pas risquer que les citoyens se détournent toujours plus de l’idée européenne, nous devons faire une politique qui soit compréhensible.
Mesdames et Messieurs,
Lors du dernier sommet de printemps, je vous ai déjà livré un message très clair du Parlement européen. Tout comme vous, nous avons la conviction qu’il n’est ni possible ni souhaitable de remédier aux conséquences de la crise financière en procédant à des réductions budgétaires unilatérales. Aussi avons-nous été impressionnés de vous voir adopter, au sommet de juin, un pacte pour la croissance et l’emploi. En effet, tout comme vous, des millions d’Européens estiment qu’il est contraire au principe de la justice fiscale d’imposer précisément aux plus faibles d’une société, en pratiquant de sévères coupes budgétaires, le poids de la crise financière. C’est pourquoi je vous félicite d’avoir ouvert la voie de l’application d’une taxe sur les transactions financières en intensifiant la coopération. Comme vous le savez, le Parlement européen s’est prononcé de longue date pour la taxe sur les transactions financières. C’est un symbole de justice. Au même titre que le plafonnement des bonus bancaires décidé la semaine dernière par le Parlement européen. Nos citoyennes et nos citoyens attendent de nous que nous tenions notre promesse en luttant avec autant d’énergie contre la fraude fiscale et les paradis fiscaux.
Comme vous, le Parlement européen est convaincu qu’aggraver la récession en menant une politique d’austérité unilatérale est contraire au principe de la rationalité économique. C’est pourquoi il demeure évident à nos yeux que l’assainissement budgétaire et les investissements propres à stimuler la croissance sont les deux faces d’une même médaille. Nous le savons tous: sans la croissance les performances économiques sont décevantes; sans de bonnes performances économiques les créations d’emplois se font attendre; et sans emplois les recettes fiscales font défaut.
Mesdames et Messieurs,
Il y a tout juste deux semaines, les élections qui ont eu lieu en Italie ont écarté Mario Monti du poste de chef du gouvernement. Quelle que soit notre appartenance politique, nous avons souhaité la réussite de Mario Monti dans sa tentative de restaurer la confiance dans l’Italie et l’économie italienne. Le président Monti m’inspire le plus grand respect. Toutefois, je vous mets en garde contre la tentation de sous-estimer le résultat du scrutin italien. Quelle que soit notre interprétation de ce résultat, nous ne devons pas ignorer que, souvent, les acteurs de la scène nationale ou de la scène européenne que nous sommes ne sont plus écoutés par les gens. De nombreuses personnes sont blessées dans leur souci de la justice. Il faut certes assainir les budgets, mais les difficultés sociales qu’entraîne l’assainissement budgétaire ne sont pas assez amorties. Aussi avez-vous pris une décision importante en vous saisissant de la recommandation du Parlement européen relative à une garantie pour les jeunes. Je tiens à vous en féliciter et à en remercier la présidence irlandaise.
De nombreuses personnes ne se sentent pas suffisamment accompagnées sur la voie des réformes. Les motifs pour lesquels ces mesures sont indispensables pour préparer un avenir commun satisfaisant ne sont pas assez expliqués. C’est pourquoi je vous appelle aussi à faire le point concrètement et à récapituler les mesures du pacte pour la croissance et l’emploi, assorti d’une enveloppe de 120 milliards d’euros, que vous avez déjà mises en œuvre. Il se peut que ces mesures aient déjà pris corps sur le plan national, tout en restant largement inaperçues de l’opinion publique et du Parlement européen.
Mesdames et Messieurs,
Comme vous le savez, le Parlement européen a voté hier à une écrasante majorité de 506 voix une résolution dans laquelle il rejette l’actuelle proposition du Conseil sur le cadre financier pluriannuel. Ce ne peut être pour vous une surprise. En effet, les députés européens ont déjà annoncé cette prise de position dans la résolution sur le budget qu’ils ont adoptée il y a un an. Pour ma part, je vous ai invité à plusieurs reprises, lors de précédents sommets, à intégrer dans vos réflexions les priorités et les lignes rouges définies par le Parlement européen.
Selon une procédure comparable aux négociations budgétaires nationales, le Parlement européen et vous-mêmes vont maintenant s’employer à dégager un compromis qui serve les intérêts des citoyennes et des citoyens et assure la capacité de l’Europe à préparer son avenir. Les députés au Parlement européen m’ont chargé de vous exposer de nouveau nos trois exigences majeures:
1. Nous voulons un budget qui soit au service de la croissance et de l’emploi. Un budget qui investit dans de véritables politiques européennes et produit ainsi une véritable valeur ajoutée pour les gens: des investissements dans l’innovation et les infrastructures, la recherche et le développement, la jeunesse et la formation. En bref, des investissements qui construisent un avenir satisfaisant pour les Européens.
2. Nous voulons un budget qui comble l’écart entre les engagements et les paiements. Nous ne sommes pas d’accord pour emprunter la voie de l’Union des déficits. Il serait absurde de procéder sur le plan national à de sévères coupes budgétaires afin de réduire l’endettement, tout en se dirigeant – en connaissance de cause – sur le plan européen dans un piège de la dette qui est déjà là. Les prestations que nous promettons à nos citoyennes et à nos citoyens, nous devons être capables de les financer. Différer le règlement des factures impayées conduit nécessairement à la catastrophe. Par conséquent, l’apurement dès cette année du déficit afférent aux exercices 2012 et 2013 est une condition indispensable de l’ouverture de négociations avec le Parlement européen.
3. Nous voulons un budget comportant une clause de révision viable, qui offre une souplesse maximale entre les exercices annuels et les catégories, un accord sur une augmentation des ressources propres et la préservation du principe de l’unité du budget de l’Union européenne. Faire de bonnes politiques dans l’intérêt de nos citoyennes et de nos citoyens implique de disposer d’un budget flexible et moderne.
Vous avez fait connaître initialement votre intention de parler en premier lieu des priorités politiques, puis des structures des dépenses et, enfin, des moyens de financement. En fait, j’ai l’impression qu’il n’a été question durant votre dernier sommet que de finances, que les structures des dépenses ont été oubliées et que vous n’avez nullement tenu compte des priorités de la Commission et du Parlement. Ne soyez donc pas étonnés que votre proposition ait été rejetée hier par 506 voix.
L’adoption à l’unanimité par le Conseil européen d’un compromis minimal ne suffit pas pour que soit arrêté un cadre financier pluriannuel. Vous avez besoin d’une majorité qualifiée au Parlement. Concrètement, il vous faut réussir, par la voie de négociations sérieuses appuyée sur une majorité qualifiée, à transformer 506 voix défavorables en un minimum de 378 voix favorables.
Mesdames et Messieurs,
L’ordre du jour prévoit que vous définirez aujourd’hui un calendrier pour la mise en œuvre d’une véritable Union économique et monétaire lors du sommet de juin. Le Parlement européen a plaidé, dans le rapport Thyssen, en faveur tant du renforcement de la légitimité démocratique que de l’insertion dans l’Union économique et monétaire d’un pacte social. Il y a lieu de respecter et de contrôler les critères sociaux, le cas échéant en sanctionnant leur non-observance, d’une manière aussi rigoureuse que le sont les principes budgétaires.
Un pacte social de cette nature doit mettre en situation de mesurer le respect de la discipline budgétaire, mais aussi de juger de l’action en faveur de l’emploi et de la réalisation des valeurs de référence en matière sociale. Les revendications formulées par le Parlement européen portent avant tout sur l’emploi des jeunes, des services publics de qualité, des salaires permettant de vivre, l’accès au logement pour un prix abordable, un socle de protection sociale et l’accès aux soins de santé de base, la protection des droits sociaux fondamentaux et des droits fondamentaux des travailleurs, de même que la jouissance par tous de l’égalité de la rémunération et des droits pour un travail de valeur égale. Telles sont les centres d’intérêt des Européens!
À cet égard, je tiens aussi à exprimer une nouvelle fois notre grande crainte que les débats sur la nécessité de modifications des traités et de conventions dédiées aux réformes constitutionnelles, aussi importants soient-ils, nous conduisent finalement à perdre de vue que nous devons surmonter la crise actuelle dans le cadre des traités en vigueur.
Avons-nous, dans la situation actuelle, véritablement la détermination et la cohésion nécessaires pour asseoir l’Union européenne sur des traités reconfigurés? Cet objectif est assurément souhaitable, mais pouvons-nous envisager de modifier les traités en un temps où un État membre prévoit de tenir un référendum sur une éventuelle sortie de l’Union?
Il va de soi que des améliorations s’imposent. Nous devons, tout particulièrement, intensifier notre collaboration dans le domaine économique. Or presque toutes les adaptations nécessaires peuvent être effectuées dans le cadre des traités en vigueur. La Commission a déjà défini, dans son plan d’action, des modalités précises. Il y a lieu aussi de s’atteler énergiquement à la mise en œuvre des actes législatifs déjà adoptés, notamment dans les domaines de la coordination des politiques économiques et de la réglementation des marchés financiers.
À cet égard, je tiens à invoquer aujourd’hui Saint François, qui disait: « Commence par faire le nécessaire, puis fait ce qu’il est possible de faire et tu réaliseras l’impossible sans t’en apercevoir. »
C’est pourquoi les députés au Parlement européen vous invitent à prendre en compte dans vos délibérations d’aujourd’hui le message suivant: ne vous engagez pas davantage sur la pente dangereuse de la démarche intergouvernementale! La méthode communautaire qui est au cœur des institutions de l’Union est non seulement plus efficace, mais aussi plus démocratique.
Vous jouissez certes, en tant que chefs de gouvernement, d’une légitimité démocratique directe, puisque vos peuples vous ont élus. Toutefois, lorsque vous vous réunissez à Bruxelles pour décider des orientations de la politique européenne, vous le faites en tant qu’organe européen. Depuis quelques années, vous faites migrer de plus en plus souvent les décisions législatives sur votre terrain, celui des chefs de gouvernement, et réintroduisez ainsi l’Union européenne le principe de l’unanimité. Cette manière d’agir va de pair avec une perte de lisibilité qui conduit de plus en plus de gens à se détourner de l’Union européenne.
Mesdames et Messieurs,
Une Union européenne véritablement démocratique, opérante et proche des citoyens suppose que la Commission devienne un véritable gouvernement européen élu et contrôlé par le Parlement européen. Un parti de gouvernement a inscrit dans son programme la proposition de fusionner le poste de président du Conseil européen et celui de président de la Commission européenne. Nous ne devons pas obligatoirement aller jusque-là. Cependant, nous avons besoin, à l’échelon européen, de structures du type de celles que les citoyens connaissent au niveau national. Ces structures sont démocratiques, transparentes et compréhensibles, la confiance étant à ce prix.
Les décisions prises à huis clos, les constructions juridiques forgées en dehors des traités sous la pression des évènements, le flou dans le partage des compétences, ce sont là des facteurs de défiance. Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que les gens se détournent.
L’Europe a besoin de structures claires et simples, que les gens puissent identifier et comprendre. Nous regagnerons la confiance des populations si celles-ci comprennent qui fait quoi et si elles ont le sentiment de pouvoir exercer une influence. Aussi avons-nous besoin d’un pouvoir parlementaire fort sur les plans national et européen.
Mesdames et Messieurs,
M’entretenant au téléphone, vendredi dernier, avec Viktor Orbán, j’ai appelé le premier ministre à faire en sorte que les modifications constitutionnelles prévues ne soient pas adoptées avant que le Conseil européen et la Commission européenne aient examiné la question en profondeur. Maintenant que ces modifications ont été votées dans la précipitation au parlement hongrois, les chefs de plusieurs groupes politiques m’ont expressément demandé d’évoquer cette affaire devant le Conseil européen. Par ailleurs, hier la majorité des présidents de groupes politiques a décidé d’inscrire à l’ordre du jour de la séance plénière du 17 avril un débat sur la Hongrie.
L’Union européenne est une communauté de valeurs. Nous portons cette exigence aussi dans nos relations avec les pays tiers. Il est d’autant plus important que nous respections chez nous nos propres valeurs. Lorsqu’un État membre de l’Union porte atteinte à nos valeurs européennes fondamentales, nous ne pouvons pas nous taire.
Quatre ministres des affaires étrangères, ceux de la Finlande, des Pays-Bas, du Danemark et de l’Allemagne, ont suggéré d’instaurer un système d’alerte précoce sur les questions touchant à l’État de droit, de sorte que notre Union puisse agir plus rapidement et plus vigoureusement dans un cas comme celui de la Hongrie. Tout comme l’Union européenne surveille naturellement l’évolution de la situation économique dans les États membres, il convient de surveiller le respect des valeurs fondamentales. Le Parlement européen vous demande de réfléchir sérieusement, comme il le fait lui-même, aux conséquences qu’il convient de tirer d’une violation des valeurs fondamentales de l’Union européenne.
Je vous remercie de votre attention.