Entretien avec Françoise Castex, députée européenne
« Il faut une véritable stratégie de refondation des services publics »
Propos recueillis par Sophie Mosca | lundi 28 février 2011
L’eurodéputée française Françoise Castex (S&D) estime que les pouvoirs publics nationaux ou locaux qui gèrent les services publics doivent pouvoir décider de ce qui relève ou pas d’une obligation de service public. Selon elle, la stratégie Europe 2020 n’accorde pas aux services publics la place qu’ils méritent. L’intergroupe « services publics » qu’elle préside entend peser sur le travail parlementaire à cet égard, notamment dans le cadre du débat sur le Single Market Act (SMA).
Comment répondre aux critiques de nombreux citoyens européens sur la responsabilité de l’UE du démantèlement des services publics ?
La Commission et le Conseil doivent comprendre que le désamour entre les citoyens et le marché intérieur est profond et inquiétant. Il faut s’attaquer aux causes de ce rejet notamment en révisant la place des services publics auxquels les Européens sont très attachés. Les spécificités nationales au sein de l’UE, la prolifération des dénominations qu’on leur donne (SIG, SIEG SNEIG SSIG…) ne doivent pas constituer un prétexte pour les ignorer, pour les considérer comme secondaires encore moins pour justifier une entreprise de démolition des services publics, garants de la cohésion sociale et territoriale. Les citoyens condamnent l’approche libérale des services publics qui les considère selon le droit de la concurrence, alors que de par leur spécificité ils doivent bénéficier de dérogations, et les pouvoirs publics (nationaux ou locaux) qui les gèrent doivent pouvoir décider de ce qui relève ou pas d’une obligation de service public. Cette dimension n’a pas été prise en compte par la Commission européenne dans la stratégie 2020. Nous demandons à M. Barnier qu’elle le soit dans le projet de SMA!
N’est-ce pas paradoxal alors d’affirmer, comme vous le faites dans votre essai réalisé avec Pierre Bauby (1), que l’Europe offre une nouvelle chance aux services publics ?
Le traité de Lisbonne en lui-même ne règle pas la question des services publics en Europe mais il offre une base juridique en droit primaire sur laquelle nous allons nous appuyer : le protocole 26. En premier lieu, cette disposition utilise les deux termes – SIG et SIEG – pratiquement comme des synonymes. Je pense que cette distinction qu’on veut nous imposer n’est pas opérante juridiquement car elle est sujette à caution selon la situation sur le terrain. Il est plus pertinent de prendre comme critère d’appréciation l’objectif de ces services, privilégiant une approche plus fonctionnelle et politique des services publics, rompant avec l’approche techniciste et juridique de la Commission. C’est pourquoi l’intergroupe a choisi le terme de “services publics” tout comme la Confédération européenne des syndicats et le Conseil économique et social. Ce qui permet de mieux appréhender la spécificité de ces services et la nécessaire liberté d’organisation ou de financement des gestionnaires, second point majeur du protocole 26. Cela implique une réappropriation au niveau de l’UE de cet espace politique spécifique par tous les acteurs (opérateurs, régulateurs, usagers, personnels, élus territoriaux, chercheurs et universitaires, mouvements associatifs, etc.). Il faut une véritable stratégie de refondation des services publics. L’intergroupe veut, en ce sens, réunir ces acteurs, faire exister les services publics autrement, et en dépassant les clivages archaïques, dresser des pistes de convergence.
Comment comptez-vous agir concrètement ?
L’intergroupe présentera sa propre contribution au SMA. Plus généralement il entend peser sur le travail parlementaire. C’est pour cela que nous avons tenu à rendre public notre premier rapport annuel qui revient sur nos activités et nos différentes propositions. Nous essayons aussi de nous concerter au maximum au sein de l’intergroupe lors du dépôt d’amendements sur des rapports clés ayant attrait aux services publics. Le vote des rapports relatifs au SMA sera l’occasion de vérifier s’il existe une majorité au Parlement européen pour défendre les SIEG. Celui-ci, qui n’est qu’un des trois pôles du triangle institutionnel, sera face à ses responsabilités. Il faut aussi une volonté de la Commission et du Conseil pour que les choses avancent. Pour l’instant c’est là que le bât blesse.
L’intergroupe Services publics
L’intergroupe a pour ambition de contribuer à développer et clarifier le débat sur les services publics, à avancer des propositions. Il se réunit mensuellement et rassemble plus d’une centaine de personnes de tous horizons (collectivités locales, acteurs sociaux, entreprises de services publics, etc.). Il est soutenu par cinq groupes politiques (PPE, S&D, ADLE, Verts, GUE) représentés dans son bureau.
Présidente : Françoise Castex, (S&D France) ; vice-président(e)s : Sophie Auconie, (PPE, France ), Jean-Luc Bennahmias, (ALDE, France), Pascal Canfin ( verts , France ), Heide Ruehle (verts, Allemagne), Csaba Ory ( PPE, Hongrie), Miguel Portas ( GUE , Portugal).
Il revendique une clarification de l’environnement juridique des services publics, fixe comme priorités l’égalité d’accès, la légitimité démocratique des services, la qualité et la continuité des services nécessaires aux citoyens. Il demande la révision des règles du paquet Altmark-SIEG applicables aux prestataires de SSIG et aux autorités locales en vue d’une simplification et d’une adaptation aux spécificités des prestataires de services sociaux et des spécificités nationales en matière d’organisation et de financement de ces services. Il souhaite aussi une clarification de la notion de mandatement et une sécurité juridique quant aux SSIG.
Rapport annuel de l’intergroupe : www.europolitique.info > recherche = 288693
(1) « Europe : une nouvelle chance pour le service public » ; éditions de la Fondation Jean Jaurès