La manière détestable dont le gouvernement a déclenché le débat sur la présence des Rroms sur le territoire français présente un seul et unique intérêt : celui de mettre en lumière les difficultés sociales de ces populations et celles de leurs conditions d’accueil. De nombreuses voix se sont exprimées pour dire, chacune à leur manière, leur désapprobation tant sur l’analyse de la situation que sur les actes d’expulsion. J’en partage la majorité.
L’échange étant lancé, il convient de rappeler quelques éléments d’analyse et de faire des propositions applicables par les pouvoirs publics et acceptables pour l’opinion publique.
Ces propositions s’inscrivent sur le long terme. Elles imposent de combiner des mesures dans les pays d’accueil et dans les pays d’origine. Elles doivent se traduire par des actions à la fois spécifiques et globales. Mais une chose est sûre : c’est à l’échelle européenne que les problèmes doivent être traités, sans dédouaner toutefois les Etats membres de leurs responsabilités.
De qui parle-t-on ?
Principale minorité en Europe –une dizaine de millions de personnes- les Rroms sont un peuple indo-européen dont le mode de vie et la culture sont tout autant sources de fierté pour eux-mêmes que de rejet pour… la plupart des autres populations. Régulièrement victimes de pogroms, de déportation et de violences au travers des siècles, ils avaient réussi à bénéficier d’une forme de répit au moment où les régimes communistes est-européens avaient fait en sorte de subventionner leurs formes traditionnelles de vie et d’activité, fut-ce au prix de leur isolement dans des ghettos ruraux et de leur sédentarisation.
Depuis toujours pauvres parmi les pauvres, leur précarisation s’est accentuée avec la fin de ces régimes et l’introduction de l’économie de marché dans les pays de l’ancien bloc de l’est. La crise économique mondiale a aggravé leur situation de pauvreté, de dépendance et de ségrégation. Dans leurs pays d’origine, ils sont victimes de discriminations et de violences ; ils sont installés dans des immeubles insalubres ou sur des terrains pollués ; leurs enfants –déjà peu scolarisés- sont envoyés dans des écoles spéciales pour inadaptés ; ils ont peu d’accès aux aides sociales, l’emploi, aux services publics et aux soins… De régulier, leur nomadisme s’est accentué avec l’espoir de trouver ailleurs une vie meilleure.
L’action de l’Europe : changer d’approche.
Outre la législation et les instruments de lutte contre les discriminations, l’implication de l’Union européenne sur les questions liées aux Rroms est existe au travers plusieurs résolutions parlementaires qui ont régulièrement rappelé les droits et devoirs de chacune des parties. L’Europe a également créé une Plateforme pour l’inclusion des Rroms ; elle organise régulièrement des sommets qui évaluent les avancées et les échecs ; elle augmente ses efforts pour l’inclusion des Rroms dans ses programmes ; elle aide financièrement et coordonne les différentes initiatives locales, les échanges de bonnes pratiques…
Pourtant, toute cette énergie déployée donne le sentiment d’avoir peu de résultats tangibles (les évaluations sont d’ailleurs peu significatives), de générer une forme de lassitude et de résignation devant l’ampleur des difficultés. D’aucuns s’interrogent même sur la bonne utilisation des fonds structurels consacrés à l’inclusion des Rroms. La stratégie générale apparait donc comme peu lisible et des écueils notables persistent.
Parmi eux, il convient de pointer la posture trop frileuse et défensive de la Commission européenne, consistant à axer exclusivement le discours sur la lutte contre les discriminations et sur la bonne utilisation des fonds disponibles. Ces préconisations sont bien entendu fondamentales mais pas suffisantes. Elles conduisent à faire reposer sur les épaules des seuls Etats membres la gestion et la responsabilité de la situation. Autrement dit, la Commission européenne s’exonère de fixer des objectifs clairs, de coordonner les efforts de chacun et d’adopter des mesures contraignantes.
Il est donc urgent d’«européaniser » les politiques en direction des Rroms en impulsant une démarche volontariste et globale autour de trois axes :
– Tout d’abord, asseoir une démarche partagée vis-à-vis de l’intégration des Rroms (mainstreaming) dans toutes les politiques publiques de l’Union européenne et des Etats membres (emploi, santé, logement, lutte contre pauvreté, éducation…). Il s’agit d’améliorer la stratégie d’inclusion dans la société ordinaire de cette population parmi les plus vulnérables.
– Ensuite, déterminer un programme de coordination et d’intensification des efforts de toutes les parties prenantes (Union Européenne, Etats membres, ONG, communauté Rrom) afin que les responsabilités soient partagées, avec des objectifs, des mécanismes et des engagements mutuels clairs.
– Ceci impose de disposer d’un meilleur monitoring des actions menées et des fonds utilisés pour en apprécier les effets sur les processus d’inclusion des Rroms. Pour garantir une plus grande implication, responsabilisation et soutien des autorités nationales et locales à ce dispositif, nous pourrions imaginer la nomination d’un responsable de la coordination des politiques à l’égard de cette communauté
Cette responsabilité partagée doit mettre en exergue le respect intangible par les Etats membres des lois contre la ségrégation et la fin des violences sociales à l’encontre des minorités.
En France, pays d’accueil : être responsable
Quelques acteurs politiques français se sont plu à stigmatiser les Rroms et les décrire exclusivement comme des profiteurs venus dans les pays d’Europe de l’ouest pour y trouver un logement, des aides sociales et financières, sans travailler. Oui, la mendicité dans la rue, des squats de terrains ou d’appartements inoccupés, de l’insécurité, des fraudes et des rapines existent. Oui, certaines filières maffieuses ont organisé du trafic d’êtres humains, de la prostitution parfois même enfantine. Oui, des déplacements en France plusieurs fois par an puis des retours dans les pays d’origine avec une « prime au départ » sont repérés. Cette réalité existe et il serait naïf de dire la nier.
Mais s’en tenir à cette description univoque ne serait ni honnête ni sérieux. Il suffit pour s’en convaincre de décrire l’autre facette de la situation des Rroms présents en France. Citoyens européens, ils ont certes accès à la libre circulation au sein de l’Union, mais constituent le plus gros contingent de personnes reconduites, servant ainsi de variable d’ajustement des objectifs chiffrés d’éloignement du ministère de l’immigration. Arrivés en France, ils ont théoriquement accès à 152 métiers (réputés non pourvus par les nationaux mais qui obligent l’employeur à payer une prime à l’Etat) mais ne peuvent généralement pas y entrer, ne maîtrisant pas la langue et souvent ni la lecture ni l’écriture.
D’un point de vue sanitaire, leur situation est déplorable. Reste le recours aux aides, majoritairement celles des collectivités locales, forcément limitées. Les Rroms installés en France sont donc dans un très grand dénuement matériel et moral ; tous les ingrédients sont présents pour mixer précarité, comportements déviants, et en face rejet et discrédit.
Pour beaucoup d’élus locaux, ces difficultés ne constituent pas une nouveauté. Depuis des années, des campements et des squats, gigantesques puis de plus en plus souvent diffus, sont installés dans nombre de villes. La nature des terrains utilisés, la promiscuité, l’absence d’accès aux fluides et donc à l’hygiène, les troubles générés, sont des problèmes difficilement surmontables. Les riverains s’emportent, les collectivités locales sont relativement démunies et les acteurs institutionnels (villes, conseils généraux, services de l’Etat) se renvoient la balle de la responsabilité, le tout se soldant souvent par une évacuation manu militari… et la reconstitution d’un squat à quelques encablures.
C’est là que les pays d’accueil doivent prendre leur part de responsabilité vis-à-vis de l’insertion de ces populations. Le problème doit être pris à bras le corps afin de stopper la spirale « installation-désordres-évacuation-réinstallation ». Pour cela, je propose que soient créées des aires d’accueil dans un nombre important de villes –un peu à l’instar de ce qui se fait, trop lentement certes, pour les Gens du Voyage et c’est là le seul amalgame possible entre les deux populations-. Les initiatives comme celle menée en Loire Atlantique sont trop isolées et concentrent un trop grand nombre de personnes. Des sites d’accueil correctement répartis sur le territoire, avec une harmonisation des standards (installation de bungalows, raccordement aux fluides, accès aux aides, accompagnement social, au logement et à la gestion budgétaire,…) permettraient d’éviter des surpopulations localisées. En contre partie, au travers d’un contrat d’accueil, plusieurs obligations s’imposeraient à la communauté Rrom tels que la scolarisation des enfants, le respect des règles de droit, l’apprentissage de la langue,…
Et à l’avenir ?
Comme il est de coutume malheureusement depuis quelques années dans notre pays, le débat politique, social, voire économique, cette fois-ci alimenté par la situation des Rroms, est en réalité dévoyé et instrumentalisé. Il faut bien comprendre que les récentes déclarations gouvernementales ont surtout pour vocation de jeter en pâture une population déjà dépréciée de manière à occulter les autres problèmes de notre pays.
Sauf à vouloir continuer d’utiliser des boucs-émissaires bien pratiques car peu organisés et représentés, il faut aider les Rroms à se projeter dans le siècle qui s’est ouvert. Pour cela, l’émergence et la valorisation d’une société civile Rrom organisée et responsable est indispensable. Il est en effet incontournable que la scolarisation et l’accès à l’éducation et à l’emploi sont les vecteurs principaux pour faire évoluer les mentalitésii. D’ores et déjà, des organisations y travaillent, en accompagnant financièrement la construction des projets d’inclusion tout en renforçant les capacités des acteurs locaux. Les efforts doivent continuer en ce sens en associant à toutes les étapes les représentants des communautés Rroms
L’équilibre est compliqué. Mais il constitue un beau challenge à relever dès 2010, Année Européenne de Lutte contre la Pauvreté.
Sylvie GUILLAUME
Députée Européenne,
Adjointe au Maire de Lyon déléguée aux Affaires sociales