Tribune des délégations socialistes roumaine, bulgare et française au Parlement européen publiée dans le journal Le Monde dans son édition datée du mardi 14 septembre 2010.

Nicolas Sarkozy a, au cours de l’été, engagé une politique d’expulsion systématique et sans précédent des populations roms en France. En droit français, il s’agit d’une réforme de la loi sur l’immigration pour faciliter la reconduite à la frontière des étrangers en situation irrégulière, y compris, dans certaines circonstances particulières, de ressortissants de l’Union européenne (UE). Visant directement la communauté rom, la mesure s’appliquerait en cas de « menace pour l’ordre public, en l’absence durable de moyens de subsistance ou d’abus du droit à la libre circulation ».

A ce jour, plus d’un millier de Roms ont été reconduits dans leur pays. Mettons-nous d’accord sur les faits. Selon le gouvernement, il n’est pas approprié de parler d' »expulsions » ; les départs seraient « volontaires », assortis d’une indemnité, versée par l’Etat, de 300 euros par adulte et 100 euros par enfant. En réalité, en tant que citoyens de l’UE depuis 2007, les Roms roumains et bulgares jouissent de la liberté de circulation et du droit au séjour sur le territoire des Etats membres.

Sous statut différencié, cependant. Ils disposent de la liberté de circulation, soit, mais pas de celle de travailler : les dispositions transitoires de Schengen les obligent à obtenir un titre de séjour, puis une autorisation pour pouvoir exercer une activité professionnelle – parmi une liste de 152 métiers -, moyennant le paiement d’une taxe par l’employeur. Dans les faits, donc, après trois mois passés en France sans domicile ni sources de revenus, ils sont juridiquement dans l’illégalité et deviennent expulsables. De surcroît, selon certains témoignages parus dans la presse, il n’est pas rare que les policiers effectuant l’évacuation des camps omettent de mentionner le caractère « volontaire » du retour.

Les réactions ne se sont pas fait attendre : condamnation de la communauté internationale, réprobation à l’ONU, au Conseil de l’Europe, et même rappel à l’ordre du pape Benoît XVI… Plus récemment, on a assisté à des manifestations de protestation de Roms à Bucarest, à Sofia et en Macédoine contre la politique d’expulsion du gouvernement français.

Le Parlement européen a adopté, le 9 septembre, une résolution condamnant l’attitude du gouvernement français. Seule la Commission européenne reste en retrait. Alors que les analystes s’attachent à démontrer qu’il s’agit là d’une violation manifeste du droit communautaire, José Manuel Barroso a décidé de ne pas publier une analyse de la politique française à l’égard de cette communauté, estimant qu’il n’y avait « aucun intérêt pour les deux parties à créer une controverse sur cette question ».

Pour nous, parlementaires européens, l’instrumentalisation de la situation de ces populations est inadmissible. Nous connaissons le recours systématique de Nicolas Sarkozy aux amalgames douteux et à la stigmatisation d’une communauté pour en faire le bouc émissaire des maux auxquels il ne parvient pas à trouver une solution durable. En temps de campagne présidentielle, c’est l’approche que privilégie la droite française pour orienter les débats.

Nous attendons en revanche de José Manuel Barroso, président de la Commission européenne, qu’il puisse répondre à des questions politiques concrètes : la légalité de l’opération française au regard du droit communautaire et des solutions législatives européennes pour des populations qui se déplacent dans les Etats membres de l’Union. Rien de tout cela ne nous a été présenté lors de la dernière session plénière du Parlement européen.

Ces faits interviennent pourtant dans un contexte de montée du populisme dans plusieurs Etats membres (Pays-Bas, Autriche, Italie, Hongrie ou Belgique, notamment). L’Europe, dans son ensemble, joue sa crédibilité dans cette funeste affaire. Notre groupe politique a, pour dénoncer les infractions de la France, constamment fait référence à la directive 38/2004 relative aux droits des citoyens européens de se déplacer librement sur le territoire de l’UE. On peut ajouter que le fait d’obliger les expulsés à donner leurs empreintes digitales, comme l’indiquent certains rapports, constituerait une nouvelle infraction, en particulier à l’article 21.1 et 2 de la charte des droits fondamentaux de l’UE et aux directives 38/2004 et 43/2000.

Puis vient la question éthique, la question, essentielle à nos yeux, du sens politique de la construction européenne dans la solidarité. Accepter une telle politique abîmerait durablement l’identité de l’Europe en tant que  » communauté de valeurs », comme la définit la Charte des droits fondamentaux. L’Union, par son caractère hétérogène et transnational, interdit toute discrimination fondée sur l’origine ethnique ou la nationalité comme principe fondamental. C’est pourtant sur ces valeurs que se retrouvaient en cohérence le droit communautaire et la Constitution française.

Cette même France, pourtant, qui a été condamnée en juin par le Conseil de l’Europe pour violation de l’article 31 de la Charte sociale européenne à cause de l’insuffisance du nombre d’aires d’accueil pour les gens du voyage, des mauvaises conditions de vie et d’accès au logement qui leur sont réservées. Ni le droit français ni le droit européen ne sont donc plus des références normatives.

L’absence de réponse européenne coordonnée est injuste : elle laisse seuls des Etats membres qui ont adhéré en 2004 et 2007 face à un phénomène européen qui concerne des populations présentes sur le sol de notre continent depuis des siècles. Aider les Roms, ce n’est pas les accompagner à la frontière, c’est créer les conditions de leur socialisation.

Rappelons-le : le premier problème auquel ils doivent faire face, c’est la pauvreté. Or, avec cette mesure, le gouvernement français ne s’attaque pas « à la pauvreté, il s’attaque aux pauvres », pour reprendre les termes que György Spiró, célèbre écrivain hongrois, avait choisis pour qualifier la situation de son pays.

Au moment où l’agenda communautaire nous amène à débattre sur l’état de l’Union, la question des Roms s’impose tristement comme un symbole du risque de délitement européen. Les Européens doivent s’emparer du sujet. Ensemble et vite. Il est grand temps de clamer, comme un camouflet aux populistes, la devise de l’Union : « Unité dans la diversité ».

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