Sylvie Guillaume (S&D). – Monsieur le Président, les qualificatifs ne manquent pas pour commenter ce sommet UE-Turquie. Pour les plus modérés, il a accouché d’une souris. Pour de nombreux autres, il est, au contraire, le sommet de la honte. Je fais partie des seconds.
Puisque c’est le prochain Conseil européen des 17 et 18 mars qui tranchera, il faut regarder en face l’impact des orientations issues des discussions de ce lundi. Je ne peux en aborder que quelques-unes.
Les effets de la fermeture de la route des Balkans, d’abord: les États membres font ici un mauvais calcul, parce que, d’un mouvement, la Grèce est mise sous perfusion, mais, dans le même temps, elle est asphyxiée. Expliquez-moi comment on peut proclamer le sauvetage de Schengen, tout en entérinant des décisions unilatérales de fermeture des frontières dans l’Union et dans son voisinage.
La coopération avec la Turquie, ensuite: elle est certes un partenaire incontournable dans la région, et la coopération entre l’UE et ce pays est nécessaire, mais si des solutions sont à rechercher ailleurs, elles devraient aussi et surtout être trouvées au sein de l’Union. En l’occurrence, nous nous plions non seulement aux exigences de ce partenaire, mais nous lui sous-traitons la gestion de la crise, moyennant une augmentation des enchères.
Les États membres se dédouanent de leurs responsabilités, du principe de solidarité et, finalement, de leurs principes tout court. En témoigne le principe pudiquement intitulé « réinstallation des Syriens dans l’UE, sur la base du un pour un ». Ce troc indigne en fait qu’un Syrien doit risquer de se noyer pour qu’un autre Syrien puisse entrer dans l’Union. Je n’aurais jamais imaginé que la demande de mise en œuvre de voies légales prenne cette forme sordide.
La légalité d’un tel schéma et son applicabilité restent également à démontrer. Dans la quête d’un accord à tout prix, l’UE se perd au nom de la realpolitik, les États membres semblent en effet prêts à s’asseoir sur un certain nombre de principes et à fermer les yeux sur le pouvoir en place en Turquie, sa mainmise sur les médias, l’emprisonnement des universitaires et les menaces sur le système judiciaire.
Au final, le bilan de ce sommet montre que, sous couvert de décisions communes, l’idée même d’une Europe solidaire et responsable risque fort d’être mise en échec.