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Un an après le rejet de l’Accord commercial anticontrefaçon (Acta) par le Parlement européen, la Commission européenne se fait une nouvelle fois le supplétif des intérêts américains en ouvrant les négociations sur un accord de libre-échange entre l’Union européenne et les Etats-Unis.
L’accord sur le cadre budgétaire européen a quelque peu occulté l’annonce, le 12 février par le président de la Commission européenne et le président des Etats-Unis, de l’ouverture de négociations en vue de la création d’une zone de libre-échange transatlantique. Cette dernière serait «un nouveau moteur pour la croissance et pour l’emploi», dixit José Manuel Barroso, et «soutiendrait des millions d’emplois américains bien payés», selon Barack Obama, à qui on peut au moins reconnaître le mérite de ne pas cacher ses intérêts.
Du plan Marshall et des accords Blum-Byrnes à Acta : l’empire attaque . Ce projet de «Walmart transatlantique» a toutefois suscité de vives critiques parmi les acteurs de la culture et les associations d’internautes qui ont été les premiers à réagir. Et pour cause.
Il est le prolongement des tentatives répétées des Américains pour accéder aux données personnelles des citoyens européens. Accord PNR sur les données des passagers aériens, accord Swift sur les données bancaires, Acta… autant de batailles citoyennes dont résonne encore le Parlement européen. Barack Obama n’est pas dupe. Certes, l’Europe en crise a perdu de sa superbe dans bien des domaines, mais elle n’en reste pas moins le premier marché mondial avec une demande intérieure presque deux fois supérieure à celle des Etats-Unis.
Or, si l’économie d’avant-hier cherchait la route des épices, si celle d’hier forait les puits de pétrole, force est de constater qu’elle est aujourd’hui à l’affût de nos données personnelles, véritable «or gris» du XXIe siècle. En 2011, une étude du Boston Consulting Group estimait la valeur totale des données personnelles des consommateurs européens à 315 milliards d’euros. Cette même étude anticipait un marché européen de mille milliards d’euros en 2020. Ce n’est pas par hasard qu’Amazon, Google, Facebook, Apple, Microsoft et autres empires «dataphages» poussent à la conclusion de cet accord de libre-échange.
Une annonce faite sur fond de lobbying intense des industries américaines dans la législation européenne . De ce point de vue, le lobbying exercé par les géants américains du Net, et ce avec le concours du gouvernement américain, sur les parlementaires européens dans le cadre de la réforme actuelle de la protection des données personnelles en dit long sur les intérêts économiques en jeu.
On comprend en revanche moins bien pourquoi la Commission européenne propose de livrer ce marché à leur convoitise. Il est inacceptable que l’Union européenne se perde dans un échange inégal : elle ne pourrait résister à la «force de frappe» des plateformes et industries de contenu nord-américaines.
Taxons les flux de données ! C’est d’une stratégie inverse dont nous devons nous prévaloir. La culture européenne a besoin d’être soutenue et non bradée. Introduisons une taxe européenne sur les flux de données. A l’instar de la taxe sur les transactions financières, elle a d’autant plus de chances d’aboutir que son application sera continentale. Elle concernerait en premier lieu ces géants nord-américains de l’ère numérique et son produit serait reversé à un «Fonds européen de la culture». Cela permettrait de mener peut-être enfin une politique culturelle digne de ce nom !
On prête à Jean Monnet cette belle confession : «Si c’était à refaire, je commencerais par la culture.» Chiche, recommençons l’Europe !