Monsieur le Président, chers collègues,
le rapport d’initiative sur lequel nous votons cette semaine revêt une importance symbolique particulière au moment où les marchés ne parviennent pas à évaluer les risques liés à la conjoncture de la zone euro.
Après avoir exigé de sévères politiques d’ajustement budgétaire, voilà qu’ils doutent de la capacité des États membres à relancer leur croissance, et donc à dégager les recettes fiscales nécessaires au paiement des intérêts de la dette. L’évaluation du risque est malheureusement impossible dans un contexte d’incertitude radicale comme celui que subit désormais l’économie mondiale. Celle‑ci est d’autant plus importante dans l’Union européenne que le taux d’utilisation des capacités de production est au plus bas.
Au lieu d’investir, les entreprises en viennent à déclasser les machines, car la demande fait défaut malgré les premiers signes de reprise fin 2009. La croissance en viendrait même à se retourner si des mesures restrictives venaient tuer dans l’œuf la reprise. Le premier objectif de notre rapport était précisément de déterminer le moment le plus pertinent pour engager les politiques de sortie de crise. Nous proposions de maintenir les mesures de soutien tant que le taux normal d’utilisation des capacités de production n’était pas atteint. Nous suggérions ainsi d’entériner le principe de politiques budgétaires anticycliques qui se sont affirmées avec succès durant la première phase de la crise en 2008 et 2009, et qui s’inscrivent dans l’esprit de la révision du pacte de stabilité de 2005.
Ces politiques consistent à jouer sur les stabilisateurs automatiques, c’est‑à‑dire à affecter les excédents du budget primaire au désendettement en haut du cycle, et à permettre aux États membres d’emprunter les ressources nécessaires à la relance en bas du cycle. Nous sommes actuellement en bas du cycle. Certes, les taux d’intérêt se tendent et menacent la soutenabilité de la dette. Si tel était le cas, la Banque centrale européenne avait bien fait d’annoncer qu’elle rachèterait une partie des dettes pour permettre aux États membres de diversifier leurs sources de financement.
Pour autant, outre que cette notion de soutenabilité n’a jamais été définie dans la littérature économique, peut‑on affirmer que les primes de risque exigées par les marchés sont justifiées? Non, si l’on considère que le risque est impossible à évaluer sur le marché des dérivés de crédits hypothécaires, tout comme sur le marché de la dette publique. C’est pourquoi nous avions proposé dans notre rapport de porter une certaine attention à l’indicateur de déficit structurel plutôt que de se focaliser.
(Le Président interrompt l’orateur)
C’est pourquoi nous avions proposé, dans notre rapport, de porter une certaine attention à l’indicateur de déficit structurel, plutôt que de se focaliser sur le déficit courant dont l’ampleur est due à la dégradation des soldes conjoncturels. Ceci résulte de la crise qui a amenuisé la croissance et les recettes fiscales induites. Ces recettes ont, de surcroît, été taries par des baisses d’impôt qui n’ont pas provoqué le choc escompté sur l’offre.
Notre rapport souhaite délivrer trois recommandations assorties d’indicateurs opérationnels. Premièrement, maintenir des mesures de soutien tant que la reprise n’est pas consolidée. Deuxièmement, surveiller les déficits structurels, qui restent proches de l’équilibre, malgré la dégradation des soldes conjoncturelles afin de donner un signal rassurant aux marchés sur l’état des finances publiques. Troisièmement, évaluer l’efficacité de la dépense fiscale et, en particulier, de certaines baisses d’impôts qui ne sont pas étrangères à la baisse des recettes fiscales.
Malheureusement, pour les libéraux et les conservateurs de la commission des affaires économiques et monétaires, peu importe le bon sens, peu importe l’impact de la crise, peu importe que l’endettement massif soit aussi dû aux plans de sauvetage des banques. Seule compte leur foi aveugle en l’efficience des marchés financiers, seul compte le respect dogmatique d’un pacte de stabilité manifestement caduc. Nul besoin pour eux de créer les outils d’une gouvernance économique indispensable au renforcement de l’Union. Mettre l’Europe au pain sec et à l’eau, avancer à marche forcée vers les critères du pacte sans garantie de réussite, au risque de casser la reprise et tant pis pour la cohésion sociale. Voilà la ligne qu’ils ont défendue en commission des affaires économiques et monétaires. La santé économique de l’Europe s’est, depuis ce vote, encore aggravée. La Banque centrale européenne et la Commission ont enfin accouché d’instruments monétaires et budgétaires qui devraient permettre d’améliorer la gouvernance économique de la zone euro. Mais les marchés ont à nouveau plongé, inquiets des plans d’austérité.
Le Conseil Ecofin a dû se remettre à l’ouvrage ce lundi. Dans ce contexte, les amendements que nous présentons sont somme toute très modérés; nous en présentons de nouveaux. Ils se prononcent en faveur d’une application souple du pacte de stabilité permettant d’éviter une cure d’austérité malvenue. Ils prônent une agence publique de notation pour soustraire les États membres au diktat des marchés. Tels sont les signaux que le Parlement doit lancer. L’heure, Monsieur Othmar, n’est plus à la crispation idéologique; elle n’est pas non plus aux calculs électoraux nationaux à courte vue. L’Europe a besoin de politiques qui soient animées d’une réelle ambition de renforcer l’Union. Si vous et votre groupe ne prenez pas la mesure de cette tâche, si vous n’êtes plus capables de porter l’intérêt général, soyez certains que les citoyens sauront en tirer les conclusions, car l’avenir de la zone euro est désormais en jeu.
Madame la Présidente, mes chers collègues,
deux tabous sont tombés au cours de ces dernières semaines. Le premier, c’est que la Banque centrale peut désormais monétiser les dettes souveraines. Le deuxième tabou qui est tombé, c’est que l’on peut désormais financer, par l’emprunt, des dépenses communautaires, et cela se fait notamment à l’occasion de la création des fonds de stabilisation et de soutien.
Il est un troisième tabou qui n’est malheureusement pas tombé, c’est celui du pacte de stabilité, dont certains ici demandent dogmatiquement le renforcement. Messieurs les commissaires, nous autres les socialistes, sommes favorables au fédéralisme. Nous sommes favorables à la coordination des politiques budgétaires. Mais si la coordination des politiques budgétaires, c’est la mise sous tutelle des parlements pour mettre leurs peuples au pain sec et à l’eau, alors j’ai peur que ce ne soit là la belle idée européenne qui finisse par prendre l’eau elle-même. Telle est la véritable menace qui pèse aujourd’hui sur nos têtes.
Les plans d’austérité, Messieurs les commissaires, en Grèce, en Espagne, au Portugal et en France, n’ont aucune chance d’aboutir. Je vous demande d’en prendre conscience.