Dans les arcanes européennes, le feuilleton autour des accords de Schengen continue. Le 26 avril dernier, Messieurs Sarkozy et Berlusconi ont temporairement résolu leur bras de fer à propos des migrants tunisiens en cognant conjointement sur l’Union européenne. Ce faisant, ils ont cherché à sortir de la nasse dans laquelle ils s’étaient eux-mêmes jetés, poussés, dans les deux pays, par l’enjeu des futures échéances électorales et par le pistolet que l’extrême droite leur tient sur la tempe. Les chefs d’État français et italiens ont donc considéré les clauses de sauvegarde permettant de rétablir temporairement les contrôles aux frontières comme trop restrictives. Dit autrement, ils cherchent des moyens supplémentaires de restaurer la fermeture des frontières.
La France voudrait ainsi augmenter le nombre de motifs de suspension de la libre circulation (sous-entendu « en cas d’afflux massif de migrants »), tout en considérant dans le même temps que l’afflux de migrants consécutif au printemps arabe n’est pas assez « massif » pour justifier le déclenchement de la directive 55/2001 sur la protection temporaire. Cherchez l’erreur ! L’Italie, voudrait une « solidarité » européenne dans la prise en charge des migrants, tout en oubliant qu’elle a fait jouer au colonel Kadhafi pendant de nombreuses années le rôle (consentant) de geôlier des migrants africains, par le biais d’un accord bilatéral entre elle-même et la Libye… et ceci sans tenir compte des institutions européennes. Cherchez une nouvelle fois l’erreur !
Le président de la Commission européenne, M. Barroso leur a adressé une de ces réponses dont il a le secret, indiquant que modifier les accords de Schengen étaient une « possibilité parmi d’autres », tout en mettant en garde contre une vision «trop sécuritaire » de l’immigration. Comme souvent, il n’est ni pour ni contre, bien au contraire, du moment qu’il est d’accord avec tout le monde…. Le prochain épisode aura lieu dans la semaine à l’occasion de la publication par Cécilia Malmström, Commissaire aux Affaires Intérieures, d’une série de mesures sur l’immigration. Les réactions lors du Conseil des ministres du 12 mai vont être savoureuses. Celles du Parlement européen devraient l’être aussi !
Hasard du calendrier, nous examinons également en ce moment au Parlement européen un rapport sur l’évaluation et le suivi de l’application des accords de Schengen. Qu’y découvre-t-on ? Que les États n’ont font qu’à leur guise ; les mêmes voient d’ailleurs d’un très mauvais œil que le Parlement européen ait son mot à dire sur la façon dont ils appliquent (ou pas) les règles communes. Encore mieux : à l’occasion de la négociation sur l’entrée de la Bulgarie et de la Roumanie dans l’espace Schengen, les gouvernements sont enclins à vouloir instaurer un mécanisme de suivi différencié, au motif que ces « nouveaux » entrants doivent être surveillés de plus près que les anciens. De là à imaginer que ce téléscopage sur les dossiers Schengen donne lieu à un vaste marchandage, il n’y a qu’un pas !
Pour en revenir à la possibilité de rétablir des frontières, celle-ci a tout d’une mascarade, sachant que des mécanismes de sauvegarde existent déjà et ont été utilisés à plusieurs reprises. Elle sert d’abord et avant tout de paravent devant l’impuissance à gérer la crise économique et sociale. Elle est utilisée pour des motifs de politique nationale.
Mais il faut également y voir le symptôme grandissant des gouvernements européens de ne tolérer l’Europe qu’à la condition expresse qu’elle soit aux services de leurs intérêts nationaux. Sur les questions migratoires et le droit d’asile, chacun voit midi à sa porte. Les uns veulent renforcer les contrôles en mer, les autres bloquer les frontières intérieures, les troisièmes se font discrets tant que les routes migratoires ne passent pas (ou plus) par chez eux. Certains veulent un meilleur partage du traitement des demandes d’asile quand d’autres refusent de modifier le Règlement Dublin II, Celui là veut des renforcer les clauses de réadmission pour les personnes ayant rejoint clandestinement l’UE et celui-là privilégie la fin de la libéralisation des visas.
Toute proportion gardée, c’est un peu comme avec la « solidarité » nécessaire pour gérer la crise financière et économique européenne : il faut agir en commun pour sortir du marasme, mais seulement si chacun s’occupe de ses problèmes et évite de contaminer le voisin.
Contrairement aux déclarations, nous sommes donc en face d’une part d’une absence totale de réflexion sur la nécessaire solidarité continentale et d’autre part d’un refus de penser les questions migratoires à l’échelle européenne. Or c’est là qu’il faut agir, sans diversion ni faux semblant, en organisant sur des critères clairs et justes une immigration légale seule à même d’assécher l’immigration clandestine.
Il ne faut pas tergiverser : accéder aux demandes de modification des accords Schengen, laisser ainsi s’instaurer un espace de libre circulation à plusieurs vitesses, reviendrait à saper l’un des acquis les plus importants de la construction européenne. Bien qu’il soit très à la mode d’en réclamer le détricotage, l’Union européenne, au premier rang de laquelle la Commission européenne doit tenir bon. L’opportunisme politique ne doit pas prendre le pas sur un demi-siècle de confiance entre les États.